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Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/43

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ma trop chère femme, et je prévois qu’en m’attristant tous les jours de plus en plus je t’attristerai de même, car tu es le vrai miroir de ma pauvre âme et tout ce qui s’y passe doit se réfléchir dans la tienne. J’ai le cœur serré, je sens un malaise, un chagrin, une humeur, dont tu n’as jamais vu que de faibles esquisses, même dans mes plus mauvais moments. Tout ce que je vois ici est ladre au sentiment du bien et beaucoup même de ceux sur lesquels je comptais le plus ne font qu’inventer de nouvelles difficultés pour les ajouter à celles auxquelles je m’attendais. Il faut dissimuler une partie de mon mécontentement, il faut modérer l’autre et tu sais comme la dissimulation et la modération me sont antipathiques. Le temps viendra où tout cela ne sera plus rien pour moi et où nous serons l’un à l’autre, comme le lierre à l’arbre, qui vivent, croissent et meurent inséparables.


Ce 29. — J’ai beau me prêcher, beau raisonner, beau prendre sur moi, je finis toujours par céder à ce chagrin intérieur, à cette humiliation secrète qu’inspire le zèle contrarié. Il faudra pourtant que mon esprit abattu se relève, sans quoi mon corps le suivrait de trop près et alors il n’y aurait plus de remède ; d’autant plus que le moindre mal peut devenir mortel dans ce pays-ci, puisque notre chirurgien vient de soigner et d’émétiser mon valet de chambre pour une piqûre de cousin. Je commence à être fort inquiet du petit de Villeneuve qui devrait être revenu depuis deux ou trois jours ; je crains qu’il n’ait été malade ou qu’il n’ait fait de mauvaises rencontres. L’inquiétude se joint à mes autres peines et semble se glisser exprès dans les intervalles où je