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Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/8

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lieu. Cela résulte de bien des considérations qu’il serait trop long d’énumérer ici et surtout du caractère très loyal et très droit de Mme de Sabran, dont la réputation ne fut jamais attaquée.

Quoi qu’il en soit, au bout de quelques années, la passion de Boufflers et de Mme de Sabran fut mise à une rude épreuve. Boufflers n’avait pas renoncé à ses visées ambitieuses. Son humeur aventureuse, son désir de faire fortune le poussèrent dans une nouvelle entreprise. Il n’avait pas suivi, je ne sais pourquoi, ses amis, les gentilshommes démocrates qui passèrent la mer pour porter le concours de leur bravoure aux Insurgents américains. Mais il accepta d’aller gouverner le Sénégal et les dépendances, reconquis par l’initiative de son cousin Lauzun. La situation n’était ni lucrative, ni bien en vue ; Boufflers l’agréa pourtant avec la ferme décision d’un homme qui croit jouer son dernier coup de dé et saisir sa dernière chance de réussite. Les reproches et les larmes de Mme de Sabran ne purent parvenir à l’ébranler. Nommé le 9 octobre 1785 à ses nouvelles fonctions, il partait de France le 17 décembre suivant, laissant Mme de Sabran désolée, désespérée surtout d’une résolution qui rendait l’avenir si douloureux pour elle.

Il avait été convenu, en se quittant, que tous deux écriraient jour à jour leurs pensées et ni l’un ni l’autre ne manqua à cette promesse. Boufflers avait emporté pour cela des feuilles de papier numérotées avec soin, qu’il remplit scrupuleusement. Il y disait ses sensations de la terre d’Afrique, ses propos d’exilé à la poursuite de la fortune et de la gloire ; elle, au contraire, mandait ses angoisses et analysait ses désespoirs avec une singulière force pathétique. C’est le roman vécu de deux âmes séparées par toutes les incertitudes de la vie, l’une tendre et passionnée, l’autre sensible, sans doute, mais d’une sensibilité plus égoïste et moins touchante. Peut-être y avait-il, d’une et d’autre part, quelque arrière-pensée littéraire à ces épanchements, car, dès 1798,