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Page:Bouglé - La Démocratie devant la science, 1904.djvu/72

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IV

Un espoir reste aux partisans du régime des castes. Si presque tous les peuples se sont émancipés, plus ou moins rapidement, de ses prohibitions bienfaisantes, il en est un qui les a religieusement observées, depuis des siècles. L’Inde obéit tout entière au Code de Manou, génial éleveur, précurseur étonnant de la biologie moderne ; les hommes y restent parqués, de père en fils, entre les mêmes barrières ; la race et le métier y sont deux bœufs accouplés pour l’éternité. Ce « peuple modèle[1] » ignore donc le va-et-vient social, les agitations de toutes sortes, les changements de professions et de situations qui brouillent en quelque sorte les cartes de l’anthroposociologie et l’empêchent de vérifier ses thèses. Ici du moins nous sommes à l’abri de l’esprit qui bouleverse tout pour tout niveler ; les sangs ne se mêlent pas plus que les fonctions ne s’échangent. Cette civilisation privilégiée nous réserve donc, sans doute, la démonstration qui nous était refusée jusqu’ici : l’excellence des spécialisations héréditaires s’y manifestera de façon éclatante.

Depuis des siècles, en effet, les fils y héritent nécessairement du métier de leurs pères : comment cette transmission du métier, accompagnant la transmission du sang, n’aurait-elle pas graduellement adapté, aux qualités que le métier exige, les qualités que le sang transmet ? Cette coïncidence de l’hérédité sociale avec l’hérédité physique n’a-t-elle pas dû constituer peu à peu des types qui se distinguent, sinon par des formes tout extérieures, visibles à l’œil nu ou mesurables au compas, du moins par des dispositions intimes, appréciables à l’expérience ? Comment des habitudes tant de fois

  1. V. Reibmayr, Inzucht, p. 94. Risley, Tribes and Castes, I, p. xxvi.