Aller au contenu

Page:Bourget - Le Disciple.djvu/137

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
136
LE DISCIPLE

je le dois à cet orgueil premier. C’est lui qui me permet de vous montrer mon passé avec cette lucidité froide, au lieu de courir, comme ferait un vulgaire accusé, aux événements tapageurs de ce drame. Je vois si bien, moi, que les premières scènes de la tragédie ont commencé dès lors dans le collégien pâlot en qui s’agitait le jeune homme d’aujourd’hui !

La troisième des causes qui concoururent à cette lente désagrégation de ma foi chrétienne fut la découverte de la littérature contemporaine, qui date de ma quatorzième année. Je vous ai raconté comment ma mère m’avait, peu de temps après la mort de mon père, supprimé un certain nombre de livres. Elle ne s’était pas relâchée de cette sévérité avec le temps, et la clef de la bibliothèque paternelle continuait à cliqueter sur l’anneau d’acier de son trousseau, entre celle de l’office et celle de la cave. Le résultat le plus net de cette défense fut d’aviver le charme du souvenir que m’avaient laissé ces volumes feuilletés autrefois longuement, les pièces à demi comprises de Shakespeare, les romans à demi oubliés de George Sand. Le hasard voulut que je rencontrasse, au commencement de ma troisième, quelques échantillons de la poésie moderne dans le livre d’auteurs français qui devait servir aux récitations de l’année. Il y avait là des fragments de Lamartine, une dizaine de pièces de Hugo, les