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Page:Bourget - Le Disciple.djvu/285

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LE DISCIPLE

tard. En ce moment je n’ai la tête à rien… Cette contrariété !… Voilà comment j’ai vieilli si vite… Toujours des coups nouveaux, toujours… »

Qui sait ? ma destinée aura peut-être dépendu tout entière du mouvement d’humeur par lequel ce vieux fou refusait de m’entendre. Si je lui eusse parlé à cette minute, et si nous eussions fixé mon départ, je me serais vu obligé de partir en effet ; au lieu que la seule présence de Charlotte changea ce projet de partir en un projet de rester, comme une lampe apportée dans une chambre change les ténèbres en lumière, immédiatement. Je vous le répète, j’étais convaincu qu’elle avait cessé de s’intéresser à moi d’une part, et, de l’autre, que, moi-même, je traversais, par rapport à elle, une crise non pas de véritable amour, mais de vanité blessée et de sexualité morbide. Hé bien ! À la voir descendre de voiture devant le perron, à constater combien ma présence la bouleversait, combien la sienne m’affolait, je compris avec une égale évidence deux choses : d’abord, qu’il me serait physiquement impossible de quitter le château tant qu’elle y serait ; ensuite, qu’elle avait traversé depuis le mois de mai des troubles pareils aux miens, sinon pires. Ma divination devant l’enveloppe qui contenait les brins de muguet ne m’avait pas trompé. Elle pouvait m’avoir fui avec le plus sincère courage, n’avoir pas répondu à mes lettres, ne pas