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Page:Bourgogne - Mémoires du Sergent Bourgogne.djvu/112

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pénible où nous étions, nous ou les habitants qui étaient en petit nombre, il n’y avait pas de musique possible, et surtout à pareille heure.

Tout en avançant et en faisant des réflexions, mon pied droit, qui commençait déjà à être gelé et à me faire souffrir, rencontra quelque chose de dur qui me fit pousser un cri de douleur et tomber de mon long sur un cadavre, ma figure presque sur la sienne. Je me relevai péniblement. Malgré l’obscurité, je reconnus que c’était un dragon, car il avait encore son casque sur la tête, attaché avec les jugulaires, et son manteau sur lequel il était tombé, il n’y avait probablement pas longtemps.

Le cri de douleur que j’avais jeté en tombant, fut entendu par un individu qui était sur ma droite et qui me cria d’aller de son côté, en me faisant comprendre qu’il y avait longtemps qu’il m’attendait. Surpris et content de trouver quelqu’un dans un endroit où je me croyais seul, j’avançai dans la direction d’où partait la voix. Plus je m’approchais, plus il me semblait la reconnaître. Je lui criai : « C’est toi, Beloque[1] ? — Oui ! » me répondit-il, et, nous ayant reconnus l’un et l’autre, il fut aussi surpris que moi de nous trouver, à pareille heure, dans un lieu aussi triste et ne sachant pas plus que moi où il était. Il m’avait primitivement pris pour un caporal qui était allé chercher des hommes de corvée pour transporter des malades de sa compagnie que l’on avait laissés à la porte de la ville, lorsque l’on était arrivé ; et qui, ensuite, avec quelques hommes pour porter et aider à marcher ces malades, avait pris le chemin du rempart pour éviter de monter la rampe de glace. Mais, arrivés ici, étant trop faibles pour marcher, et les hommes de corvée ne pouvant plus les porter, ils étaient tombés à la place où je les voyais. Le premier qu’il avait envoyé au camp n’étant pas revenu, il avait envoyé successivement les deux autres, de manière qu’il se trouvait seul. C’étaient précisément les hommes que nous avions laissés à notre arrivée dans la baraque, où ensuite j’en avais trouvé un de mort.

Je lui contai comment je m’étais perdu ; je lui parlai de

  1. Beloque était un de mes amis, sergent vélite comme moi. (Note de l’auteur.)