Page:Bourgogne - Mémoires du Sergent Bourgogne.djvu/138

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étaient considérablement diminués, mais que ce n’était rien en comparaison de nous, car il savait combien nous avions perdu de monde dans le combat de la nuit du 15 au 16 et dans la fatale journée que nous venions de passer ; que, pendant tous ces jours-là, il avait beaucoup pensé à moi, et qu’il était content de me revoir avec tous les membres bons. Il me demanda des nouvelles du capitaine Débonnez, mais je ne pus lui en donner, ne l’ayant pas vu depuis la matinée du 16. Je le quittai pour rejoindre le régiment, déjà établi près de la route ; cette nuit fut encore bien pénible, car il tomba une neige fondue qui nous mouilla, avec cela un grand vent et pas beaucoup de feu ; mais tout cela n’est rien encore auprès de ce qu’on verra par la suite.

Pendant cette mauvaise nuit, plusieurs soldats des tirailleurs vinrent se chauffer à notre feu ; je leur demandai des nouvelles de quelques-uns de mes amis, surtout de deux de mes pays qui étaient aux vélites avec moi, et qui étaient officiers dans ce régiment. C’était M. Alexandre Legrand, des Quatre fils Aymon, de Valenciennes, l’autre M. Laporte, de Cassel près de Lille ; ce dernier avait été tué d’un coup de mitraille ; on avait, fort heureusement, trouvé une petite voiture avec un cheval que l’on avait enlevé dans le camp des Russes, le jour du combat de nuit, dans laquelle on le conduisait.

Il était environ minuit, qu’une sentinelle de notre bivac me fit prévenir qu’il apercevait un cavalier qui paraissait venir de notre côté : je courus de suite, avec deux hommes armés, afin de voir ce que ce pouvait être. Arrivé à une certaine distance, je distinguai parfaitement un cavalier, mais précédé d’un fantassin que le cavalier paraissait faire marcher de force. Lorsqu’ils furent près de nous, le cavalier se fit connaître : c’était un dragon de la Garde qui, pour se procurer des vivres pour lui et son cheval, s’était introduit dans le camp des Russes, pendant la nuit, et, pour qu’on ne fît pas attention à lui, s’était coiffé du casque d’un cuirassier russe qu’il avait tué le même jour ; il avait, de cette manière, parcouru une partie du camp ennemi, avait enlevé une botte de paille, un peu de farine, et blessé d’un coup de sabre une sentinelle avancée et culbuté une autre qu’il amenait prisonnière. Ce brave dragon se nommait Melet ; il