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Page:Bourgogne - Mémoires du Sergent Bourgogne.djvu/153

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en Lithuanie ; suivant moi, cette forêt pouvait encore se trouver à une lieue du point où j’étais.

Malheureusement le sommeil qui, dans cette circonstance, était presque toujours l’avant-coureur de la mort, commença à me gagner ; mes jambes ne pouvaient plus me soutenir ; mes forces étaient épuisées ; déjà j’étais tombé plusieurs fois en dormant, et, sans le froid de la neige qui me réveillait, je me serais laissé aller ; c’en était fait de moi si j’avais eu le malheur de succomber à l’envie de dormir.

L’endroit où je me trouvais était couvert d’hommes et de chevaux morts qui me barraient la route et m’empêchaient de me traîner, car je n’avais plus la force de lever les jambes. Lorsque je tombais, il me semblait que c’était un de ces malheureux étendus sur la neige qui venait de m’arrêter, car il arrivait souvent que des hommes couchés et mourants au milieu du chemin cherchaient à attraper par les jambes ceux qui marchaient près d’eux, afin d’implorer leur secours, et souvent il est arrivé que ceux qui se baissaient pour secourir leurs camarades tombaient sur eux pour ne plus se relever.

Je marchai environ dix minutes sans direction ; j’allais comme un homme ivre ; mes genoux fléchissaient sous le poids de mon faible corps ; enfin je voyais ma dernière heure, quand tout à coup, chopant contre le sabre d’un cavalier qui se trouvait à terre, je tombai de tout mon long, de manière que mon menton alla porter sur la crosse de son fusil, et je restai étourdi à ne pouvoir me relever. Je sentais une grande douleur à l’épaule droite contre laquelle mon fusil avait frappé en tombant ; mais, un peu revenu à moi et m’étant mis sur mes genoux, je ramassai mon fusil pour me mettre debout, mais, m’apercevant que le sang me sortait par la bouche, je jetai un cri de désespoir et je me relevai, tremblant de froid et de terreur.

Le cri que j’avais jeté fut entendu d’un malheureux qui gisait à quelques pas de moi, à droite, de l’autre côté de la route ; une voix faible et plaintive frappa mon oreille et j’entendis très distinctement que l’on implorait mon secours, à moi qui en avais tant besoin ! Par ces paroles : « Arrêtez-vous ! Secourez-nous ! » Ensuite l’on cessa de se plaindre. Pendant ce temps, je restais immobile pour écouter et je