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Page:Bourgogne - Mémoires du Sergent Bourgogne.djvu/154

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cherchais des yeux afin de voir si je n’apercevrais pas l’individu qui se plaignait. Mais n’entendant plus rien, je commençais à croire que je m’étais trompé. Pour m’en assurer, je me mis à crier de toutes mes forces : « Où êtes-vous donc ? » L’écho répéta deux fois : « Où êtes-vous donc ? » Alors, je me dis à moi-même : « Quel malheur ! Si j’avais un compagnon d’infortune, il me semble que je marcherais toute la nuit, en nous encourageant l’un et l’autre ! » À peine avais-je fait ces réflexions, que la même voix se fit entendre, mais plus triste que la première fois : « Venez à nous ! » disait-on.

Au même instant, la lune vint à paraître et me fit voir, à dix pas de moi, deux hommes, dont un étendu de tout son long et l’autre assis. Aussitôt, je me dirigeai de ce côté, et j’arrivai près d’eux avec peine, à cause d’un fossé comblé de neige qui séparait la route. J’adressai la parole à celui qui était assis ; il se mit à rire comme un insensé, en me disant : « Mon ami, sais-tu, ne l’oublie pas ! » Et de nouveau il se mit à rire. Je vis que c’était le rire de la mort. Le second, que je croyais sans mouvement, vivait encore, et, tournant un peu la tête, me dit ces dernières paroles que je n’oublierai jamais : « Sauvez mon oncle, secourez-le ; moi, je meurs ! »

Je reconnus, dans celui qui venait de me parler, la voix qui s’était fait entendre lorsque l’on implorait mon secours ; je lui adressai encore quelques paroles, et, quoiqu’il ne fût pas mort, il ne me répondit pas. Alors, me tournant du côté du premier, je parlai pour l’encourager à se lever et venir avec moi. Il me regarda sans me répondre ; je remarquai qu’il était enveloppé d’une grosse capote doublée en fourrure et dont il cherchait à se débarrasser. Je voulus l’aider à se relever, mais la chose fut impossible. En le prenant par le bras, je vis qu’il avait des épaulettes d’officier supérieur. Il me parla encore un peu de revue, de parade, et finit par tomber sur le côté, la figure sur la neige. Enfin, je dus l’abandonner, car il m’était impossible de rester plus longtemps sans m’exposer à partager le sort de ces deux infortunés. Je passai la main sur la figure du premier ; elle était froide comme la glace. Il avait cessé de vivre. À côté se trouvait une espèce de carnassière que je ramassai, espé-