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Page:Bourgogne - Mémoires du Sergent Bourgogne.djvu/164

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ramasser de la neige et à éteindre le feu. Mais à peine avais-je commencé cette besogne, qu’un bruit de fanfare se fit entendre, et, ayant attentivement écouté, je reconnus facilement les clairons de la cavalerie russe, qui m’annonçaient que je n’étais pas loin d’eux. À ce son national, j’avais vu le Cosaque lever la tête. Je cherchai, en l’examinant attentivement, à lire sur sa physionomie quelle était sa pensée, car le feu éclairait encore assez pour distinguer ses traits. Il semblait vouloir aussi lire sur ma figure l’impression que ce bruit inattendu avait produit sur moi. C’est ainsi que j’ai pu voir comme cet homme était hideux : une carrure d’Hercule, des yeux louches se renfonçaient sous un front bas et saillant ; sa chevelure et sa barbe, rousses et drues comme un crin, donnaient à ses traits un caractère sauvage. Dans ce moment, je crus voir qu’il souffrait horriblement de sa blessure, car il faisait des mouvements comme quelqu’un qui a une forte colique et, par moments, il grinçait des dents, qui ressemblaient à des crocs.

J’avais interrompu mon ouvrage, et, ne sachant plus que faire, j’écoutais stupidement cette musique sauvage, quand, tout à coup, un autre bruit se fait entendre derrière moi. Je me retourne ; jugez de ma frayeur : c’est le caisson qui s’ouvre comme un tombeau, et je vois se lever, du fond, un corps d’une grandeur extraordinaire, blanc comme neige, depuis les pieds jusqu’à la tête, ressemblant au fantôme du Commandeur dans le Festin de Pierre, tenant le dessus du caisson d’une main et un sabre nu de l’autre. À l’apparition d’un pareil individu, je fais quelques pas en arrière et je tire mon sabre. Je le regarde sans rien dire, en attendant qu’il parle le premier ; mais je vois que mon fantôme est embarrassé, en cherchant à se défaire d’un grand collet rabattu par-dessus sa tête. Ce collet tenait à un manteau blanc qui l’empêchait de distinguer ce qui l’environnait, et, comme il faisait cette manœuvre de la main dont il tenait son sabre, il ne pouvait parvenir à se débarrasser la tête sans s’exposer à faire retomber sur lui le dessus du caisson qu’il tenait de la main gauche.

Enfin, rompant le silence je lui demandai d’une voix mal assurée :

« Êtes-vous Français ?