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Page:Bourgogne - Mémoires du Sergent Bourgogne.djvu/169

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pages a évité le même sort en faisant un demi-tour à gauche, mais je ne sais s’il est arrivé à bon port. Tant qu’à moi, l’on m’a laissé ici avec deux chasseurs pour garder le diable de caisson, en nous disant que, dans un moment, l’on enverrait des hommes et des chevaux pour le retirer, ou enlever ce qu’il contenait. Mais une heure après, comme il allait faire nuit, neuf hommes, des traîneurs de différents corps, passant justement de ce côté, ayant vu le caisson renversé et ne nous voyant que trois pour le garder, l’enfoncèrent sous prétexte qu’il contenait des vivres, malgré tout ce que nous pûmes faire et dire pour les en empêcher.

« Lorsque nous vîmes que le mal était sans remède, nous fîmes comme eux, en prenant et mettant de côté tout ce qui pouvait nous tomber sous la main, pour le remettre ensuite à qui ça appartenait. Mais il était déjà trop tard, car tout ce qu’il y avait de convenable était pris, et les chevaux coupés en vingt morceaux. J’ai pourtant ce manteau blanc, qui me servira. Ce que je n’ai pu comprendre, c’est que les deux chasseurs qui étaient avec moi soient partis sans que je m’en aperçusse. »

Je dis à Picart que les hommes qui avaient pillé le caisson étaient de la Grande armée, et que, s’il leur avait demandé des nouvelles, ils auraient pu lui en dire autant et même plus que moi : « Après tout, mon pauvre Picart, ils ont bien fait d’emporter et de profiter de tout ce qui leur tombait sous la main, car dans un instant les Russes seront ici. — Vous avez raison, me dit Picart, aussi je pense qu’il faut mettre nos armes en état. — Il faut d’abord que je retrouve mon fusil, dis-je à Picart, car c’est la première fois que nous nous quittons. Il y a six ans que je le porte, et je le connais si bien, qu’à toute heure de la nuit, au milieu des faisceaux d’armes, en le touchant, ou au bruit qu’il fait en tombant, je le reconnais. » Comme il n’était pas tombé de neige pendant la nuit, j’eus le bonheur de le retrouver. Il est vrai que Picart me suivait en m’éclairant avec un morceau de bois résineux.

Après avoir arrangé notre chaussure, chose qu’il fallait soigner, afin de mieux marcher et de ne pas avoir les pieds gelés, nous fîmes rôtir un morceau de viande de cheval, dont Picart avait eu soin de faire une ample provision, et,