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Page:Bourgogne - Mémoires du Sergent Bourgogne.djvu/182

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suivaient de près s’étaient arrêtés sur le bord du gouffre et ensuite sauvés sur différents points. De l’endroit où nous étions, nous entendîmes quelques cris déchirants sortir du gouffre. Nous aperçûmes plusieurs fois la tête des chevaux, ensuite l’eau qui bouillonnait et jaillissait sur la glace.

Un instant après, nous vîmes paraître dix autres cavaliers, ayant à leur tête un chef. Plusieurs s’approchent de l’endroit sinistre, y enfoncent le bois de leurs lances et semblent ne pas y trouver le fond. Tout à coup, nous les voyons se retirer précipitamment, s’arrêter en regardant de notre côté, ensuite partir au galop. Nous les perdons de vue, et tout rentre dans le calme.

Nous nous retrouvions au milieu de ce désert, appuyés sur nos armes et regardant sur le lac les corps de nos malheureux soldats. À vingt pas à gauche, se trouvaient trois Cosaques qui paraissaient aussi ne plus donner aucun signe de vie, et celui que Picart avait atteint à la tête.

Nous étions près du feu de notre bivac où nous venions de nous retirer. Il se fit entre nous un silence de quelques minutes, que Picart finit par rompre en me disant : « J’ai une envie du diable de fumer. Une idée m’est venue de passer une revue sur ceux qui sont morts ; j’aurai bien du malheur si je ne trouve pas de tabac ! » Je lui observai que sa démarche était imprudente, que nous ne savions pas où étaient passés ceux qui se battaient contre les quatre premiers fantassins. Au même instant, nous aperçûmes une masse de cavaliers et de paysans portant de longues perches, venant dans la direction où ces malheureux s’étaient enfoncés sous la glace. Une voiture attelée de deux chevaux les suivait.

« Adieu le tabac ! » me dit Picart. Nous jugeâmes convenable de nous porter tout à fait à l’extrémité du bois, pour gagner la route, dans la crainte qu’ils ne vinssent visiter le bivac où ils auraient pu penser que nous étions encore. Nous fîmes halte à l’extrémité de la forêt qui longeait le lac. Là aussi se trouvait un abri, probablement le bivac d’un poste de la veille : il servit à nous cacher et à observer les Cosaques qui venaient de s’arrêter à la place où étaient les corps de nos soldats, qui furent dépouillés en partie par les premiers et ensuite mis absolument nus par les paysans.