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Page:Bourgogne - Mémoires du Sergent Bourgogne.djvu/191

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cavaliers se détachèrent et se portèrent en avant ; nous n’eûmes que le temps de tourner à droite, et nous entrâmes dans la forêt, mais nous n’avions pas fait quatre pas, que notre cheval s’enfonça dans la neige jusqu’au poitrail et me renversa. J’entraînai Picart dans ma chute et à plus de six pieds de profondeur, d’où nous eûmes beaucoup de peine à nous retirer. Pendant ce temps, le coquin de cheval s’était sauvé, mais il nous avait frayé un passage dont nous profitâmes pour nous enfoncer dans la forêt. Lorsque nous eûmes fait vingt pas, les arbres étant trop serrés, nous ne pûmes aller plus en avant. Il nous fallut, malgré nous, retourner en arrière. Il n’y avait pas à choisir ; le cheval aussi avait été de ce côté, car nous le retrouvâmes rongeant un arbre auquel nous l’attachâmes. Dans la crainte qu’il nous trahît, nous nous en éloignâmes le plus possible, et trouvant un buisson assez épais pour nous cacher de manière à tout voir sans être vus, nous nous mîmes en position de nous défendre, si les circonstances nous y obligeaient. En attendant, Picart me demanda si notre bouteille n’était pas perdue ou cassée. Fort heureusement, il n’en était rien : « Alors, dit-il, chacun un petit verre ! » Pendant que je débouchais la bouteille, il s’occupait à vérifier les amorces de nos fusils, à faire tomber la neige autour des batteries. Nous bûmes chacun un petit verre ; nous en avions besoin.

Après une attente de cinq à six minutes, nous voyons paraître la tête de la troupe, précédée de dix à douze Tartares et Kalmoucks armés, les uns de lances, les autres d’arcs et de flèches, et, à droite et à gauche de la route, des paysans armés de toute espèce d’armes : au milieu, plus de deux cents prisonniers de notre armée, malheureux et se traînant avec peine. Beaucoup étaient blessés : nous en vîmes avec un bras en écharpe, d’autres avec les pieds gelés, appuyés sur des gros bâtons. Plusieurs venaient de tomber et, malgré les coups que les paysans étaient obligés de leur donner et les coups de lances qu’ils recevaient des Tartares, ils ne bougeaient pas. Je laisse à penser dans quelle douleur nous devions nous trouver, en voyant nos frères d’armes aussi malheureux ! Picart ne disait rien, mais à ses mouvements, on aurait pensé qu’il allait sortir du bois pour renverser ceux qui les escortaient. Dans ce moment,