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Page:Bourgogne - Mémoires du Sergent Bourgogne.djvu/192

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arriva au galop un officier qui fit faire halte ; ensuite, s’adressant aux prisonniers, il leur dit en bon français : « Pourquoi ne marchez-vous pas plus vite ? — Nous ne pouvons pas, dit un soldat étendu sur la neige, et tant qu’a moi, j’aime autant mourir ici que plus loin ! »

L’officier répondit qu’il fallait prendre patience, que les voitures allaient arriver et que, s’il y avait place pour y mettre les plus malades, on les placerait dessus : « Ce soir, dit-il, vous serez mieux que si vous étiez avec Napoléon, car à présent, il est prisonnier avec toute sa Garde et le reste de son armée, les ponts de la Bérézina étant coupés. — Napoléon prisonnier avec toute sa Garde ! répond un vieux soldat. Que Dieu vous le pardonne ! L’on voit bien, monsieur que vous ne connaissez ni l’un ni l’autre. Ils ne se rendront que morts ; ils en ont fait le serment, ainsi ils ne sont pas prisonniers ! — Allons, dit l’officier, voilà les voitures ! » Aussitôt nous aperçûmes deux fourgons de chez nous et une forge chargée de blessés et de malades. On jeta à terre cinq hommes que les paysans s’empressèrent de dépouiller et mettre nus ; on les remplaça par cinq autres, dont trois ne pouvaient plus bouger. Nous entendîmes l’officier ordonner aux paysans qui avaient dépouillé les morts, de remettre les habillements aux prisonniers qui en avaient le plus besoin, et, comme ils n’exécutaient pas assez rapidement ce qu’il venait de leur dire, il leur appliqua à chacun plusieurs coups de fouet, et il fut obéi. Ensuite nous entendîmes qu’il disait à quelques soldats qui le remerciaient : « Moi aussi, je suis Français ; il y a vingt ans que je suis en Russie ; mon père y est mort, mais j’ai encore ma mère. Aussi j’espère que ces circonstances nous feront bientôt revoir la France et rentrer dans nos biens. Je sais que ce n’est pas la force des armes qui vous a vaincus, mais la température insupportable de la Russie. — Et le manque de vivres, répond un blessé ; sans cela, nous serions à Saint-Pétersbourg ! — C’est peut-être vrai », dit l’officier. Le convoi se remit à marcher lentement.

Lorsque nous les eûmes perdus de vue, nous allâmes à notre cheval, que nous trouvâmes la tête dans la neige, cherchant des herbes pour se nourrir. Le hasard nous fit rencontrer l’emplacement d’un feu que nous pûmes rallumer,