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Page:Bourgogne - Mémoires du Sergent Bourgogne.djvu/218

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peau de mouton que le Polonais lui avait donné. Le pauvre Picart oubliait sa triste position pour ne plus penser qu’à celle de l’Empereur et de ses camarades qu’il lui tardait de voir.

Enfin parurent les vieux grenadiers. C’était le premier régiment. Picart était du second. Nous ne tardâmes pas à le voir, car la colonne du premier n’était pas longue. Suivant moi, il en manquait au moins la moitié. Lorsqu’il fut devant le bataillon dont il faisait partie, il avança pour joindre sa compagnie.

Aussitôt l’on entendit : « Tiens, l’on dirait Picart ! — Oui, répond Picart, c’est moi, mes amis, me voilà et je ne vous quitte plus qu’à la mort ! » Aussitôt la compagnie s’empara de lui (pour le cheval, bien entendu). Je l’accompagnai encore quelque temps pour avoir un morceau de l’animal, si on le tuait, mais un cri, partant de la droite de la compagnie, se fit entendre : « Le cheval appartient à la compagnie, puisque l’homme en fait partie ! — C’est vrai, dit Picart, que j’appartiens à la compagnie, mais le sergent qui en demande sa part a descendu le cavalier qui le montait. — Alors, dit un sergent qui me connaissait, il en aura ! » Ce sergent faisait les fonctions du sergent-major, mort la veille.

La colonne étant arrêtée, un officier demanda à Picart d’où il venait et comment il se trouvait en avant, vu que ceux qui, comme lui, escortaient le convoi, étaient rentrés depuis trois jours. La halte dura assez longtemps. Il conta son affaire, s’interrompant à chaque instant pour demander après plusieurs de ses camarades qu’il ne voyait plus dans les rangs : ils avaient succombé. Il n’osait demander après son camarade de lit, qui était en même temps son pays. À la fin, il le demanda : « Et Rougeau, où est-il ? — À Krasnoé, répondit un tambour. — Ah ! je comprends ! — Oui, continua le tambour ; mort d’un coup de boulet qui lui coupa les deux jambes. Avant de nous quitter, il t’a fait son exécuteur testamentaire ; il m’a chargé de te remettre sa croix, sa montre et un petit sac de cuir renfermant de l’argent et différents objets. En me les remettant, il m’a chargé de te dire que tu les remettes à sa mère, et si, comme lui, tu avais le malheur de ne pas revoir la France, de vouloir bien en charger un autre. »