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Page:Bourgogne - Mémoires du Sergent Bourgogne.djvu/295

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paille, du bon feu ; enfin il y avait bien longtemps que nous n’avions été si heureux. Quelques minutes après, nous mangeâmes notre soupe, ensuite nous nous reposâmes.

J’étais couché près de Poton qui ne faisait que se plaindre ; je lui demandai ce qu’il avait ; il me dit : « Mon cher ami, je suis certain que je ne pourrai aller plus loin ! »

Sans me douter des raisons qui le faisaient parler ainsi, accident grave que personne de nous ne connaissait, je le consolai, en lui disant que lorsqu’il aurait reposé, il serait beaucoup mieux, mais, un instant après, il eut la fièvre et, pendant toute la nuit, il ne fit que pleurer et divaguer. Plusieurs fois même, la nuit, je le surpris écrivant sur un calepin et en déchirant les feuillets.

Dans un moment où je dormais paisiblement, je me sentis tirer par le bras ; c’était le pauvre Poton qui me dit : « Mon cher ami, il m’est impossible de sortir d’ici, même de faire un pas ; ainsi il faut que tu me rendes un grand service ; je compte sur toi si, plus heureux que moi, tu as le bonheur de revoir la France ; dans le cas contraire, tu chargeras Grangier, sur qui je compte comme sur toi, de remplir la mission dont je te charge. Voici, continua-t-il, un petit paquet de papiers que tu enverras à l’adresse indiquée, à ma mère, accompagné d’une lettre dans laquelle tu lui peindras la situation où tu m’as laissé, sans cependant lui faire perdre l’espoir de me revoir un jour. Voilà une cuiller en argent que je te prie d’accepter ; il vaut mieux que tu l’aies que les Cosaques. » Alors, il me remit son petit paquet de papiers, en me disant encore qu’il comptait sur moi. Je lui promis de faire ce qu’il venait de me dire, mais j’étais bien loin de croire que nous serions forcés de l’abandonner.

Le 15 décembre, lorsqu’il fut question de partir, je répétai à nos amis la confidence que Poton venait de me faire. Ils pensèrent que c’était manque de courage, ou qu’il devenait fou, de sorte que chacun se mit à lui faire des observations à sa manière.

Mais le malheureux Poton, pour toute réponse, nous montra deux hernies qu’il avait depuis longtemps et qui étaient sorties par suite d’efforts réitérés qu’il avait faits en montant la côte de Kowno. Nous vîmes effectivement