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Page:Bourgogne - Mémoires du Sergent Bourgogne.djvu/296

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qu’il lui était impossible de bouger ; le sergent-major Leboude pensa que l’on ferait bien de le recommander au paysan chez lequel nous étions, mais, avant de le faire venir, comme Poton avait beaucoup d’argent et surtout de l’or, nous nous dépêchâmes à coudre son or dans la ceinture de son pantalon ; ensuite, nous fîmes venir le paysan, et, comme il parlait allemand, il nous fut facile de nous faire comprendre. Nous lui proposâmes cinq pièces de cinq francs, en lui disant qu’il en aurait quatre fois autant et peut-être davantage, s’il avait soin du malade. Il nous le promit en jurant par Dieu, et que même il irait chercher un médecin. Ensuite, comme le temps pressait, nous fîmes nos adieux à notre camarade.

Avant de le quitter, il me fit promettre de ne pas l’oublier ; nous l’embrassâmes et nous partîmes. Je ne sais si le paysan a tenu sa parole, mais toujours est-il que plus jamais je n’ai entendu parler de Poton qui était, sous tous les rapports, un excellent garçon, bon camarade, ayant reçu une excellente éducation, chose très rare à cette époque. Il était gentilhomme breton, d’une des meilleures familles de ce pays.

Tant qu’à moi, j’ai rempli religieusement ma mission, car, à mon arrivée à Paris, au mois de mai, j’envoyai à l’adresse indiquée les papiers qu’il m’avait confiés et qui contenaient son testament et les adieux touchants qu’il écrivait pendant qu’il avait la fièvre. J’en ai tiré une copie que je reproduis :

Adieu, bonne mère,
Mon amie ;
Adieu, ma chère,
Ma bonne Sophie !
Adieu, Nantes où j’ai reçu la vie
Adieu, belle France, ma patrie,
Adieu, mère chérie,
Je vais quitter la vie,
Adieu !

Depuis plusieurs années, j’avais cessé d’écrire mon journal de la campagne de Russie, c’est-à-dire de mettre en ordre les Souvenirs que j’avais écrits en 1813, étant prisonnier. Il m’était venu une singulière manie, c’était de douter si tout ce que j’avais vu, enduré avec tant de patience et de cou-