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Page:Bourgogne - Mémoires du Sergent Bourgogne.djvu/361

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traité et soigné comme si j’avais été son frère ou son enfant, en lui disant de garder ma bouilloire comme un souvenir de moi : « Elle vous servira à faire bouillir de l’eau pour faire du thé, et toutes les fois que vous vous en servirez, vous penserez au jeune sergent vélite de la Garde. Adieu ! »

J’entends que le bruit du canon redouble ; alors je m’élance dans la rue mais, cette fois, pour ne plus revenir.

Sur un petit pont, j’aperçois Grangier qui m’attendait avec impatience. Nous prenons le chemin le plus direct, le long du quai, pour arriver au lieu du rassemblement. Nous n’avions pas marché cinq minutes, que nous apercevons Picart au milieu de la rue, jurant comme un homme en colère, tenant sous son pied droit un Prussien, et ayant devant lui quatre vétérans prussiens commandés par un caporal sous les ordres d’un commissaire de police. Voici de quoi il était question : en face d’un café, plusieurs individus lui avaient jeté des boules de neige. Il s’était arrêté en les menaçant d’entrer dans la maison pour leur donner une correction, mais ils n’en tinrent pas compte ; un de ces individus, étant descendu dans la rue, s’avança derrière Picart, lui posa une queue de billard sur l’épaule et se mit à crier : « Hourra ! Cosaque ! » Lui, se retournant vivement, l’empoigne par la peau du ventre, lui fait faire un demi-tour et le jette à plat ventre, la figure dans la neige. Ensuite il lui pose le pied droit sur le dos, pendant qu’il met la baïonnette au bout du canon de son fusil, et, se retournant du côté du café, défie ceux qui y sont.

On était allé chercher la garde ; lui, de son côté, avait fait comprendre à l’individu, que, s’il faisait le moindre mouvement, il le percerait d’un coup de baïonnette. Il en dit autant à ceux qui étaient dans le café ; aussi pas un ne bougea ; c’est alors que la garde est arrivée avec le commissaire de police.

Cette garde n’intimida pas Picart. Il était, dans ce moment, comme un lion qui tient sa proie sous ses griffes et qui regarde fièrement les chasseurs. Nous étions près de lui ; il ne nous voyait pas ; les invalides et le commissaire étaient tremblants de peur. Les femmes disaient : « Il a raison, il passait son chemin tranquillement, on l’a insulté ! »

À la fin, un ministre protestant qui avait tout vu et qui