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Page:Bréhier - Les Thèmes actuels de la philosophie, 1951.djvu/104

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ges considérer avec envie les pierres du Pont-Neuf et souhaiter vainement de partager leur existence. M. Sartre pense qu’un pareil souhait gît au fond de la théologie : car le Dieu des théologiens réunit ces deux conditions ; il est pour soi ce qu’il est en soi ; autrement dit sa conscience est créatrice de son être, et c’est pourquoi le croyant s’efforce de s’assimiler à lui. Mais l’union du pour soi et de l’en soi est une absurdité, et il y a un dualisme irréductible dans cet accouplement indispensable. Nous pouvons utiliser les choses comme des outils selon les propriétés que nous voyons en elles ; mais cet usage ne fait qu’accentuer leur extériorité et leur transcendance.

Troisième déception : nos relations avec autrui. Nous sommes en relation nécessaire non seulement avec le monde mais aussi avec autrui. N’est-ce pas dans les relations avec autrui, dans l’amour comme dans la haine, ou dans la coopération, que le moi va enfin trouver la consistance qu’il cherche ? Or, loin qu’il en soit ainsi, ces rapports, fussent-ils les plus légers, nous forcent à nous aliéner de nous-même. M. Sartre a une bien curieuse remarque à propos de la communication de nos pensées à autrui par le langage. « Le fait même de l’expression, écrit-il, est un vol de pensée, puisque la pensée a besoin des concours d’une liberté aliénante pour se cons-