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Page:Bréhier - Les Thèmes actuels de la philosophie, 1951.djvu/105

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tituer comme objet. » Ainsi voilà mes auditeurs soupçonnés de me voler ma pensée, à cause sans doute de la pression qu’ils exercent sur moi pour me contraindre à l’exprimer en un langage compréhensible pour eux.

En des pages qui sont parmi les plus substantielles du livre, M. Sartre prétend montrer combien est illusoire la confiance qu’inspire un amour mutuel. Il part d’un principe que pourraient contester les partisans du pur amour : l’amour, c’est chez chacun des deux amants la volonté d’être aimé par l’autre ; mais chacun exige que l’autre ait non seulement la volonté d’être aimé par lui, mais la volonté de l’aimer ; il exige donc ce qu’il ne donne pas, ce qu’il ne peut donner puisqu’il cherche en l’autre un appui que celui-ci ne peut lui fournir. En termes ordinaires et non existentialistes, l’amour n’est qu’un jeu d’égoïsmes où chacun compte sur le dévouement de l’autre.

Je n’ai pas besoin de pousser plus loin l’histoire de nos déceptions : connaissance de soi, connaissance des choses, connaissance des autres, tout cela n’arrive pas à remplir le vide béant du pour soi. Toute cette philosophie ressemble à quelqu’un de ces contes cruels que se plaisait à imaginer le cynisme du xixe siècle finissant ; mais elle veut appuyer ses thèses sur la structure même de l’homme, ce qui donne à