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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/10

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AURORA FLOYD

si vieux fou, avec ces idées et ces fantasmagories, — Prodder semblait être fier du dernier mot, comme d’un mot peu ordinaire, — que, lorsque je descendis à terre à Liverpool, il y aura samedi huit jours, je ne pouvais détacher mes yeux des petites filles en tablier blanc qui passaient près de moi dans la rue, croyant voir mon Éliza sautillant, avec ses boucles brunes flottant au vent, et un morceau de craie à la main pour jouer à cloche-pied, de sorte que j’étais obligé de me dire tout à fait sérieusement : « À présent, Samuel Prodder, la petite fille que tu cherches doit avoir cinquante ans, si elle vit encore, et il est plus que probable qu’elle a cessé de jouer à cloche-pied et de porter des tabliers blancs. » Si je ne m’étais point répété cela intérieurement tout le long de la route, j’aurais arrêté la moitié des petites filles de Liverpool pour leur demander si elles ne s’appelaient pas Éliza, et si elles n’avaient point de frère qui s’était enfui de la maison et qui était perdu. Je n’avais que la seule idée de la retrouver, et le meilleur moyen était de marcher droit vers la ruelle dans laquelle je me rappelais l’avoir laissée quarante ans auparavant. Je ne pensais pas que ces quarante années eussent pu opérer d’autres changements que d’une jeune fille avoir fait une femme, et il me semblait extraordinaire qu’il put y avoir autre chose de modifié. Il y avait une chose à laquelle je n’avais jamais pensé, et si mon cœur battait fort et vite lorsque je frappai à la petite porte de devant de la même petite maison que nous avions habitée, c’était d’espérance et de joie. Les quarante ans, qui avaient sillonné de chemins de fer le sol de l’Angleterre, n’avaient que peu changé la vieille maison ; elle était de quarante ans plus sale, peut-être, et plus décrépite de quarante ans, et elle se trouvait placée au centre même de la ville, au lieu d’être située sur les limites de la campagne ; mais, excepté cela, elle était encore assez jolie, et je m’attendais à voir la même propriétaire venir m’ouvrir la porte, avec les mêmes fleurs artificielles fanées sur son chapeau, et les mêmes vieilles chaussures éculées traînant sur le vieux tapis de toile cirée. Je fus saisi lorsque je ne vis plus cette même propriétaire,