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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/9

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AURORA FLOYD

Mlle Éliza Percival l’actrice populaire des théâtres de Preston et de Bradford.

— Dieu me pardonne, — continua le marin de sa voix adoucie, — mais dans tous mes voyages je n’avais jamais pensé à ma sœur Éliza que de deux façons ; quelquefois d’une manière, quelquefois d’une autre. L’une de mes façons de penser à elle était d’espérer la retrouver petite fille telle que je l’avais laissée, pas une boucle de cheveux changée, toujours semblable à ce qu’elle était lorsqu’elle avait sangloté, en s’attachant après moi lorsque je m’étais embarqué à bord du Ventur’some, car elle y était montée pour dire adieu à mon père et à moi. Le plus souvent je pensais à elle de cette manière-là. Et c’était ainsi que je la voyais dans mes rêves, et pas autrement. L’autre façon de penser à elle était d’espérer la retrouver sous la forme d’une belle femme, grande et fraîche, mariée, avec une bande d’enfants terribles, suspendus aux cordons de son tablier, et tous lui demandant ce que leur oncle Samuel leur avait rapporté des pays étrangers. Il est vrai que cette façon était la plus rationnelle des deux, mais l’autre idée que je me formais, celle de la petite fille aux boucles brunes frisées, me revenait plus souvent à l’esprit, surtout la nuit, lorsque tout était calme au large, et lorsque je prenais le gouvernail pour donner un coup de main pendant que le pilote tournait la roue. Dieu vous bénisse, messieurs et dames, bien des fois, pendant une nuit étoilée, lorsque nous nous trouvions dans ces latitudes où les étoiles sont plus brillantes que communes, j’ai vu le brouillard flottant sur l’eau prendre la forme de cette frêle figure de petite fille en tablier blanc, et venir en sautillant vers moi, à travers les vagues. Je ne prétends pas dire que j’ai vu un fantôme, entendez-vous bien ; mais je veux dire que j’aurais pu en voir un si j’avais voulu, et que j’en ai vu autant que personne sur terre ; les autres ne voient que les fantômes de leur mémoire et de leurs propres chagrins, mêlés aux brouillards de la mer, ou l’ombre des arbres se balançant en avant et en arrière, au clair de lune, ou sur un rideau blanc de fenêtre, ou quelque chose de la sorte. Eh bien, j’étais un