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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/14

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AURORA FLOYD

ans. Je me remis peu à peu, et je fus en état, au bout d’une demi-heure, d’écouter le récit de la tante Sarah. Elle avait près de soixante-dix ans, la pauvre vieille créature, et elle avait toujours aimé à causer. Elle me demanda si ce n’était pas une grande affaire pour la famille qu’Éliza eût fait un tel mariage, et si je n’étais pas fier de penser que ma nièce était une jeune et riche héritière, qui parlait toutes sortes de langues et sortait dans une voiture à elle, et si cela ne devait pas être une consolation pour moi. Mais je lui dis que j’eusse préféré trouver ma sœur mariée à l’homme le plus pauvre de Liverpool, vivante et bien portante, pour me souhaiter la bienvenue à mon retour dans mon pays natal. La tante Sarah me dit que si tels étaient mes sentiments religieux, elle ne savait plus que me dire. Et elle me montra un tableau représentant la tombe d’Éliza, dans le cimetière de Beckenham, qui avait été fait exprès pour elle, par ordre de M. Floyd. Floyd était le nom du mari d’Éliza. Puis ensuite, elle me montra un portrait de Mme Floyd, l’héritière, à l’âge de dix ans, qui ressemblait à Éliza, sauf le tablier, et c’est cette même demoiselle Floyd que je vais voir maintenant.

— Et je suis certain, — dit le jeune homme qui écoutait avec bonté, que Mlle Floyd sera bien heureuse de voir son oncle le marin.

— Eh bien, oui, monsieur, je crois qu’elle le sera, répondit le Capitaine. Je ne dis point cela pour me flatter, Dieu le sait, car je sais que je suis un particulier assez rude et assez grossier, et qui ne serait pas un ornement dans le salon d’une jeune femme ; mais si la fille d’Éliza est comme Éliza, je sais ce qu’elle dira et ce qu’elle fera, aussi bien que si je l’entendais et la voyais le faire ; elle joindra ses jolies petites mains ensemble, elle passera ses bras autour de mon cou, et elle me dira : « Seigneur, mon oncle, je suis bien contente de vous voir. » Et, quand je lui dirai que j’étais le seul frère de sa mère, et que sa mère et moi nous nous aimions beaucoup, elle fondra en larmes, et cachera son charmant petit visage sur mon épaule, et pleurera comme si son pauvre petit cœur allait se