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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/24

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AURORA FLOYD

éclairées par le soleil couchant que l’on apercevait au loin entre les arbres.

M. John Mellish !… — dit-il. — Si sa femme n’était pas une diablesse capable d’en revendre à l’homme le plus habile de la chrétienté, je ne serais pas long à le faire chanter autrement. Va chercher la voiture ! — cria-t-il tout à coup en changeant de ton, — va la chercher, et vivement. J’ai peine à me contenir quand je parle de tout ceci. J’ai peine à me maîtriser quand je pense que j’ai été si près d’avoir un demi-million, — murmura-t-il entre ses dents.

Il sortit au grand air, s’éventant avec les bords de son large chapeau d’été, et essuyant la sueur de son front.

— Dépêche-toi ! — cria-t-il avec colère en s’adressant à son serviteur indécis, qui avait entendu toutes les paroles de la conversation animée de son maître, et qui à présent même le surveillait avec plus d’attention qu’auparavant. — Dépêche-toi, animal, te dis-je. Je ne te donne point cinq shillings par semaine pour me regarder. Amène la voiture. Je me suis donné la fièvre, et il n’y a qu’une course qui puisse me remettre à présent.

L’idiot s’échappa de toute la vitesse de ses jambes. On ne l’avait jamais vu courir de sa vie ; bien au contraire, il avait une allure lente et oblique qui ressemblait plutôt à la marche d’un reptile qu’à celle ordinaire à ses semblables.

Conyers arpentait de long en large la petite pelouse qui se trouvait en face de la loge du nord. La colère qui avait empourpré son visage subsistait, et il exhalait son impatience en exclamations furieuses.

— Deux mille livres ! — murmurait-il, — quel pauvre denier. Deux mille ! Pas même l’intérêt d’une année de l’argent que j’aurais dû avoir… argent que j’aurais eu, si…

Il s’arrêta subitement et murmura comme un juron entre ses dents, tout en hachant le gazon du bout de sa canne avec une colère visible. Il est dur, lorsque nous repassons notre mauvaise chance et que nous nous disputons avec notre destin, de nous apercevoir, en remontant à la source, que la cause première de cette mauvaise chance provient