Aller au contenu

Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/25

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
21
AURORA FLOYD

de notre faute. C’est ce motif qui fit que Conyers s’arrêta à réfléchir sur son infortune, et proféra un juron ; c’est pourquoi il écoutait avec impatience s’il n’entendait point le bruit des roues de la voiture.

L’idiot parut enfin, conduisant le cheval par la bride. Il n’avait pas osé monter dans le véhicule sacré, et il considérait avec étonnement Conyers qui retournait les coussins de drap marron et les arrangeait pour ses aises et son bien-être. Ni le brillant vernis brun des panneaux, ni la couronne écarlate, ni les ornements reluisants des harnais, ni les accessoires si habilement finis du léger véhicule ne provoquèrent un mot d’admiration de la part de Conyers. Il monta avec autant de légèreté que le lui permettait sa jambe boiteuse, et, prenant les rênes des mains de Steeve, il alluma son cigare avant de partir.

— Tu n’as pas besoin de m’attendre ce soir, — dit-il en roulant sur la route poudreuse ; — je rentrerai tard.

Hargraves ferma bruyamment la grille de fer derrière son nouveau maître.

— C’est ce que je ferai, cependant, — murmura-t-il en regardant entre les barreaux la voiture qui ne paraissait plus que comme un point noir dans un blanc nuage de poussière ; — je veillerai quand même. Vous rentrerez ivre, je parie. (Le comté d’York est tellement un pays de courses et de paris, qu’un simple paysan qui n’a jamais risqué six pence dans tout le cours de sa paisible existence dit : « Je parie, » quand un habitant de Londres dit : « Je pense. ») Vous rentrerez ivre, je parie. On revient généralement dans cet état de Doncastre, et j’entendrai encore quelque chose de votre conversation décousue. Oui… oui… — dit-il d’un ton lent et réfléchi, — c’est une conversation bien décousue et bien vague, je n’en puis encore comprendre ni queue ni tête, pas encore ; je crois bien comprendre tout, mais je ne puis rassembler cela ensemble, il y a quelque chose qui manque, et ce quelque chose m’empêche de rassembler le tout.

Il frotta sa tête garnie de rudes cheveux roux avec ses deux grosses mains maladroites, comme s’il eût voulu