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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/53

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AURORA FLOYD

— Laissez-moi faire, — dit-elle tranquillement. — Croyez que j’agirai pour le mieux. Pour le mieux, si du moins vous ne pouvez supporter l’idée de me perdre ; et vous ne le pourriez pas, n’est-ce pas, John ?

— Vous perdre !… Mon Dieu ! Aurora, pourquoi me dites-vous de ces choses-là ? Je ne consentirais pas à vous perdre, entendez-vous, Lolly ?… entendez-vous, Lolly ? Je n’y consentirais jamais. Je vous suivrais à l’autre bout du monde, et que Dieu fasse miséricorde à ceux qui se seraient placés entre nous !

Ses dents serrées, l’éclat farouche de ses yeux, et la rigidité de sa bouche, donnaient à ses paroles une énergie que ma plume ne saurait rendre, quand bien même j’userais toutes les épithètes de la langue anglaise.

Aurora se leva, et réunissant tous ses cheveux elle en forma un rouleau qu’elle noua derrière sa tête, puis elle alla s’asseoir près de la fenêtre, et entr’ouvrit la persienne.

— Il y a du monde à dîner aujourd’hui, John ? — demanda-t-elle sans beaucoup d’attention.

— Oui, ma chère amie, les Lofthouse et le Colonel Maddison. Il est déjà beaucoup plus de cinq heures. Faut-il que je sonne pour votre tasse de thé habituelle.

— Oui, cher, et prenez-en avec moi si vous voulez.

Je crois bien qu’au fond de son cœur Mellish n’avait pas un goût bien prononcé pour les infusions de souchong et de poudre à canon que sa femme lui administrait ; mais il eût dîné avec de l’huile de foie de morue si elle avait présidé au festin, et il se fût efforcé de paraître enchanté, dans le seul but de lui être agréable, comme il affectait en ce moment de vider avec enthousiasme les tasses de thé que sa femme lui versait, dans la retraite sacrée de son cabinet de toilette.

Mme Powell entendit le bruit des cuillers et des tasses en porcelaine dite écaille d’œufs, quand elle passa devant la porte entr’ouverte pour gagner l’appartement qu’elle occupait. Elle éprouva une fureur muette en pensant que l’amour et l’harmonie régnaient dans la chambre où le mari et la femme prenaient le thé.