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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/52

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AURORA FLOYD

que. Il n’y a pas plus de chances qu’il meure d’apoplexie que d’épuisement, ni qu’il se brise un vaisseau dans un moment d’intense émotion. Il dort avec calme, sous l’air chaud de juillet qui pénètre par les fenêtres entr’ouvertes et vient le ravir par son souffle embaumé, et il goûte en même temps le repos du corps et le repos de l’esprit. Pourtant, jusque dans son tranquille sommeil, il y a quelque chose de vague, une ombre flottante de souvenirs amers que le sommeil a chassés, qui oppresse sa poitrine d’un poids accablant dont il ne peut se débarrasser. Il dormit jusqu’au moment où une demi-douzaine de pendules et d’horloges eurent terminé leur carillon, c’est-à-dire eurent sonné cinq heures de l’après-midi. En s’éveillant, il tressaillit de voir que sa femme le regardait, Dieu sait avec quelle persistance. Dans ses yeux noirs on lisait une pensée solennelle, et sur son visage une animation étrange.

— Mon pauvre John, — dit-elle en penchant sa belle tête et posant son front brûlant sur sa main, — comme il faut que vous soyez fatigué pour dormir si profondément au milieu du jour ! Il y a près d’une heure que je suis éveillée et que je vous regarde.

— Vous me regardiez, Lolly,… Pourquoi ?

— Je pensais, combien vous étiez bon pour moi. Ô John !… John !… Que pourrai-je jamais faire… Comment pourrai-je jamais compenser tout ce…

— Soyez heureuse, Aurora, — dit-il vivement, — et… et renvoyez cet homme.

— Je le ferai, John, il partira bientôt, cher. Ce soir !

— Quoi ?… cette lettre était donc pour le renvoyer ? — demanda Mellish.

— Vous savez que je lui ai écrit ?

— Oui, chère, c’était pour le renvoyer, n’est-ce pas… dites que c’était pour cela, Aurora. Donnez-lui tout l’argent que vous voudrez pour qu’il garde le secret qu’il a découvert, mais renvoyez-le, Lolly, renvoyez-le. Sa vue m’est odieuse. Renvoyez-le, Aurora, ou je le ferai moi-même.

Il se leva dans une agitation extrême, mais Aurora posa doucement sa main sur son bras.