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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/7

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AURORA FLOYD

— Savez-vous pourquoi je vais à Londres par le train où nous sommes ? — demanda-t-il en s’adressant à tout le monde, à mesure que les voyageurs prenaient place, après s’être rafraîchis à la station de Rugby.

À cette question du brave marin, les hommes déplièrent leurs journaux et une jeune dame chercha son livre ; mais personne ne se hasarda à donner son opinion touchant le but des actions de Prodder.

— Je vais vous dire pourquoi, — reprit le Capitaine en s’adressant à l’assemblée comme pour répondre à une impatiente demande ; — je vais voir ma nièce que je ne connais pas encore. Lorsque je désertai le navire de mon père, le Ventur’some, il y a bientôt quarante ans, et que je m’embarquai dans l’équipage d’un Capitaine du nom de Mobley, qui fut bien longtemps un bon maître pour moi, j’avais une petite sœur que j’avais laissée à Liverpool, et qui m’était plus chère que la vie.

Il s’arrêta pour se rafraîchir avec une gorgée qu’il prit dans la bouteille placée dans sa poche de côté.

— Mais si vous, — il continuait à s’adresser à tout le monde, — si vous aviez eu un père qui vous envoyât une calotte sur la tête aussi vite que la parole, vous auriez déserté peut-être aussi la maison, comme je le fis. Je saisis l’occasion de m’éclipser, une nuit que mon père mettait à la voile du port de Yarmouth ; il ne me laissait pas les énormes provisions que quelques parents laissent à leur unique enfant ; il leva l’ancre, sans s’inquiéter de ce que j’étais devenu, et me laissa caché dans une des nombreuses petites ruelles qui coupent Yarmouth en tous sens, comme on coupe les gâteaux qu’on y fabrique. Beaucoup de gens me connaissaient dans Yarmouth, et pas une seule personne ne se trouva pour dire autrement que : « C’est bien fait, » lorsqu’on apprit comment j’avais joué ce tour à mon père ; et le lendemain le Capitaine Mobley me prit à bord de la Marie-Anne en qualité de mousse.

Prodder s’arrêta de nouveau pour s’offrir un rafraîchissement pris dans son magasin, et cette fois il offrit poliment la bouteille à la compagnie.