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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/6

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AURORA FLOYD

pour tous les étrangers, ce qui est naturel au vrai Breton pur sang.

D’après cette habitude, il n’avait pas passé plus d’une demi-heure avec ses compagnons de route, qu’il leur avait appris qu’il était natif de Liverpool, et capitaine d’un navire marchand, faisant le commerce, comme il disait, un peu partout ; que, bien jeune encore, il avait quitté son père et sa patrie, et que depuis lors il s’était faufilé dans les différentes parties du globe ; que son nom de baptême était Samuel, et son nom de famille Prodder ; que son père avait été, comme lui, capitaine au long cours. Il chiquait une si grande quantité de tabac et buvait tant de rhum de la Jamaïque, qu’il avait dans une poche de côté, pendant les intervalles de la conversation, que le compartiment de première classe dans lequel il se trouvait était embaumé par ce double parfum. Mais c’était un si bon compagnon, parlant haut et souvent, il y avait un éclair si agréable dans son œil noir, que les voyageurs (à l’exception d’une vieille dame maussade) le traitaient avec la meilleure humeur, et écoutaient ses récits avec attention.

Chiquer n’est point fumer, vous savez cela ? — dit-il avec un formidable éclat de rire, tout en coupant un énorme morceau de cavendish ; — et les compagnies de chemin de fer n’ont pas de règlements qui défendent cela. Ils ont le droit de faire éteindre la pipe d’un individu, mais cet individu a aussi le droit de mâcher son tabac à leur nez ; quoique je ne prétende pas que cela ne soit pas plus pire pour le tapis bien entendu.

Je suis fâché d’être obligé d’avouer que ce capitaine marchand au visage bronzé, qui disait « plus pire » d’une si drôle de façon et qui chiquait du cavendish, était l’oncle de Mme Mellish, de Mellish Park, et que le but de son voyage n’était ni plus ni moins que le désir de faire connaissance avec sa nièce.

Il mentionna ce fait, ainsi que beaucoup d’autres détails sur son compte, ses goûts, ses habitudes, ses aventures, ses opinions et ses sentiments, à ses compagnons de voyage dans le courant de la route.