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Page:Braddon - L’Héritage de Charlotte, 1875, tome II.djvu/166

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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

Après la proclamation de son impossibilité de faire face à ses différences, c’était le déluge, et il avait beau regarder tristement les flots et la tempête, il n’entrevoyait ni arche, ni mont Ararat.

La mort de Charlotte était sa seule planche de salut, et il regardait cet événement comme un simple chiffre dans une proportion mathématique.

Quant à la jeune fille en elle-même, sa beauté, sa bonté, ses espérances, son amour, il ne s’en faisait pas une idée bien définie : elle avait si longtemps compté comme un chiffre important dans les calculs de sa vie, qu’il avait perdu la faculté de la considérer autrement.

La dureté de sa nature avait quelque chose de plus qu’une cruauté positive ; elle était moins humaine que la férocité à demi insensée d’un Néron, c’était une indifférence pour le sacrifice d’une vie humaine qui, s’exerçant sur un plus vaste champ d’opération, aurait fait un monstre aussi froid et aussi insensible que le Sphinx ou la Chimère.

« Il faut que je voie Nancy, se dit-il à lui-même. Elle n’osera pas m’interdire l’entrée de cette chambre. »

Il écouta l’horloge de Bayswater qui sonnait.

C’était deux heures.

Le plus profond silence régnait dans la maison.

La pièce, immédiatement au-dessus du cabinet de Sheldon, était la chambre de Charlotte, et, depuis longtemps, aucun bruit, aucun mouvement ne s’y était fait entendre.

« Elles dorment, murmura Sheldon, toutes deux dorment, la malade et sa garde. »

Il échangea ses bottes contre des pantoufles qu’il serrait dans une petite armoire, au milieu de vieux journaux, et il sortit doucement de sa chambre.