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Page:Braddon - L’Héritage de Charlotte, 1875, tome II.djvu/245

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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

enfant qui pose son doigt sur la flamme d’une bougie sans savoir à quoi il s’expose. Mais trouver de la générosité chez vous, chez un homme qui a passé par où vous avez passé, voilà, je l’avoue, ce qui dépasse un peu ma compréhension.

— Oui, c’est une transformation, n’est-ce pas ? Mais je ne pense pas avoir été jamais bien amoureux d’argent. Les vrais bohèmes le sont rarement. Ils sont si bien habitués à vivre sans argent, et il leur faut si peu de chose ici bas ! Leur pipe, leur ami, leur chien, leurs livres, leur grenier, leur billard et leur bière. Tout cela c’est une affaire de quelques livres sterling par semaine. Et si, quelque jour, l’amour, ce divin enchanteur, range les pauvres diables sous ses lois, et leur apprend à vivre sans billard et sans bière, vos bohémiens s’amendent et deviennent les plus purs et les meilleurs des hommes. Voyez ce qu’ils peuvent devenir, si quelques bonnes et vertueuses femmes prennent compassion d’eux, les épousent et continuent à garder leur empire sur eux. Ils peuvent écrire autant de romans que Sir Walter Scott, et mourir propriétaires de quelque domaine comme celui d’Abbotsford, de quelque beau château bâti sur les belles montagnes verdoyantes, au bas desquelles coule le Shannon. Non, capitaine, votre nouvelle ne m’a pas anéanti. Je puis hardiment envisager la vie avec ma jeune et chère femme, appuyée sur mon bras.

— Sur mon âme, Valentin, vous êtes un noble garçon ! s’écria le capitaine avec un véritable enthousiasme. Et je regrette d’avoir si longtemps gardé le silence vis-à-vis de vous.

— Vous avez gardé le silence ! oui, c’est positif ; mais depuis combien de temps savez-vous tout ce qui concerne Susan Meynell ?