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Page:Braddon - L’Héritage de Charlotte, 1875, tome II.djvu/244

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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

regard quelque peu méprisant sur le vieil intrigant. Je l’aimais longtemps avant d’avoir seulement entendu prononcer le nom de Haygarth. Je l’aurais aimée quand je l’aurais trouvée mendiant dans les rues de Londres, ou pauvre fille ignorante de la campagne, sarclant les mauvaises herbes pour gagner sa misérable vie. Je ne vais pas dire que cet argent ne nous aurait pas fait plaisir : des tableaux, des jardins, de beaux appartements, des livres sans nombre, des relations agréables, des voyages dans les plus beaux lieux de la terre, les moyens de faire un peu de bien pendant notre passage sur terre, et le sentiment de sécurité dans l’avenir pour nous et pour les chers enfants qui nous viendront peut-être et dont la prospérité nous tient au cœur plus encore que la nôtre. Très-probablement cet argent nous eût donné du plaisir en abondance, mais je doute qu’il nous eût procuré un bonheur plus parfait que celui que nous pouvons trouver dans la demeure la plus modeste aux besoins de laquelle mon travail peut suffire. Ah ! capitaine, j’en suis à me demander si vous avez jamais éprouvé la plus douce sensation de plaisir que la vie peut donner, le plaisir de travailler pour ceux qu’on aime. »

Le capitaine regarda pendant quelque temps son ancien protégé, avec un étonnement qui n’était pas sans mélange d’admiration.

« Sur ma foi ! s’écria-t-il. J’avais lu de ces sortes de choses dans les romans, mais dans tout le cours de ma vie, je n’ai rien vu de cette force. Mon beau-fils est un assez brave et généreux garçon, mais depuis son enfance, il n’a jamais su ce que c’est que de manquer d’argent, et la générosité de la part d’un tel homme n’est pas plus une vertu, qu’il n’y a de courage chez un