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Page:Braddon - L’Héritage de Charlotte, 1875, tome II.djvu/274

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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

Dans la grande cité de New-York, Sheldon avait disparu comme une goutte d’eau dans l’Océan Atlantique. On n’en retrouva pas de traces. Trop insaisissable pour tomber sous l’application des lois internationales, il se mêla à la masse humaine et devint un soldat de plus dans l’innombrable armée de ceux qui combattent pour gagner leur vie de chaque jour.

Pour tous ceux qui l’avaient connu, cet homme s’était complètement évanoui, et pas un soupir, pas un regret ne le suivait dans son pèlerinage inconnu ; pas un être parmi ceux qui avaient serré sa main et l’avaient accueilli avec amitié, n’avait conservé pour lui une bonne pensée ou ne s’inquiétait de sa bonne ou de sa mauvaise fortune. Il n’avait pas laissé dans la maison qu’il avait habitée pendant de longues années, même un chien pour gémir à sa porte et guetter son retour.

Ce fait, s’il l’avait connu ou s’il y avait songé, lui aurait causé peu de souci. Il avait joué en vue d’un certain enjeu et il avait perdu là partie. Il le savait et il maudissait son trop de prudence, comme la cause de sa défaite. Qu’il existât de plus nobles enjeux qu’il aurait pu gagner en jouant un jeu moins difficile, c’est une pensée qui ne lui venait jamais. Dans sa philosophie il n’existait rien de plus élevé, donné comme but aux espérances d’un homme, que les succès mondains et une vie froide et monotone passée dans la prospérité, au milieu de riches connaissances.

Il était parti et ceux qui se souvenaient de lui le plus cruellement, Valentin, Diana et Nancy, ne se le rappelaient qu’en frissonnant. La vieille gouvernante songeait quelquefois à lui quand elle se penchait sur le berceau où reposait l’espoir des Haukehurst, et elle regardait avec frayeur autour d’elle dans l’obscurité, s’at-