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Page:Braddon - L’Héritage de Charlotte, 1875, tome II.djvu/275

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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

tendant presque à voir son visage redouté se dresser devant elle, sombre et menaçant entre les rideaux de la croisée.

C’est une superstition des races anciennes, et cette croyance s’est conservée chez les peuples modernes, qu’un homme qui voit un être appartenant à l’autre monde, ne peut plus vivre. L’Arabe qui rencontre un fantôme dans le désert, rentre dans sa tente et s’y couche pour mourir. Il sait que son arrêt est prononcé. Il en est ainsi des hommes qui, dans une certaine mesure, ont été admis dans l’enceinte redoutable du temple du meurtre. Il est lent à retomber le rideau qui a été levé pour laisser les regards pénétrer dans ce sanctuaire plein d’horreur. Les révélations de l’âme d’un profond criminel laissent une durable impression dans l’esprit de ceux qui involontairement sont devenus les confidents de ses terribles secrets.

Les circonstances de la mort de Halliday et de la maladie de Charlotte, n’étaient pas de nature à ce que Nancy en perdît jamais le souvenir.

L’ombre du cruel visage de l’homme qu’elle avait porté dans ses bras quarante années auparavant, quand il était enfant, la poursuivait et venait troubler souvent les heures paisibles de sa tranquille vieillesse. Son ignorance et cette teinte de superstition, compagne habituelle de l’ignorance, exagéraient pour elle la terreur de ses noirs souvenirs.

La pensée que Philippe était toujours vivant, qu’il avait conservé le loisir d’ourdir de méchants complots contre l’innocent, était une source toujours renaissante de terreur pour elle. Elle ne pouvait comprendre qu’un être, si puissamment organisé pour le mal, pût exister sans un résultat fatal pour quelqu’un. Il lui semblait