Aller au contenu

Page:Braddon - L’Héritage de Charlotte, 1875, tome II.djvu/287

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
283
L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

« Que venez-vous chercher ici ? demanda-t-il. Prenez-vous cette maison pour le workhouse ?

— Non, répondit l’homme d’une voix éteinte, mais je vous prends pour mon frère.

— Comment !… » s’écria George tout interdit.

Il se pencha et regarda cet effrayant visage.

Dans la cavité existant entre ces joues creuses et la proéminence des sourcils osseux, les yeux noirs de Philippe brillaient d’un éclat plus farouche qu’il ne les avait jamais vus briller, même quand la nature sauvage de cet homme se révélait à nu… c’était le feu de la fièvre allumée par la faim.

Cet être horrible, cette masse dégoûtante de haillons ambulants, cette peste vivante, c’était l’ancien spéculateur, un homme qu’il était impossible de se figurer autrement que portant du linge d’une irréprochable blancheur, des habits de drap fin, des bottes bien faites, un chronomètre à remontoir dans la poche de son gilet, et le parapluie de soie des riches commerçants.

« Grand Dieu !… s’écria George frappé d’horreur. Est-ce vous ?…

— Oui, c’est moi, » répondit cette créature avec un accent étrange.

Le changement, ou, pour se servir d’une expression plus juste, la dégradation de la voix était aussi complète que la dégradation de l’homme.

« Oui, George, c’est moi, votre frère. Vous êtes surpris de me voir tombé si bas, je suppose, mais vous ne pouvez en être plus surpris que moi-même. J’ai travaillé dur, pour tenir ma tête au-dessus de l’eau. Il n’y a guère un métier que fasse un mortel pour gagner sa vie que je n’aie essayé et dans lequel je n’aie pas réussi. C’était l’ancienne expérience de Fitzgeorge Street tou-