Aller au contenu

Page:Braddon - L’Héritage de Charlotte, 1875, tome II.djvu/289

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
285
L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

cela, vous me donnerez de quoi retenir ensemble mon âme et mon corps, ne le voulez-vous pas, George ? »

Rien de plus abject que le ton sur lequel parlait cet abject misérable.

Cet homme, qui dans la prospérité avait été la personnification de la dureté et de l’insolence, s’était changé en un humble, bas et rampant suppliant, prêt à prosterner son front dans la poussière, aux pieds du frère dont il implorait l’assistance et la charité.

George contemplait son frère avec une sorte de satisfaction qu’il ne cherchait pas à déguiser : il se recula de quelques pas de l’endroit où son frère était tombé à demi assis, à demi couché, et ou il restait se pelotonnant dans ses haillons, trop abject pour avoir bien conscience de sa dégradation.

Une année auparavant, il se serait obstinément tenu à l’écart de ses anciennes connaissances et il se serait déclaré prêt à mourir de faim plutôt que d’implorer un secours de son jeune frère.

Les événements de cette année l’avaient fait passer par des épreuves qui changent une année en siècle. Il avait marché avec la faim pour compagne, il avait couché pendant une longue suite de nuits dans des repaires humides comme ceux où le malheureux peut trouver un refuge, avec la maladie et la douleur pour camarades de lit.

Les creusets par lesquels il avait passé lui avaient laissé à peine l’apparence humaine, car lorsque le moral tombe au niveau de la bête, le physique subit une transformation, moins marquée seulement que celle qui s’opère dans sa nature mentale.

Depuis six mois cet homme n’avait vécu qu’en flattant ou en menaçant ses semblables, par la violence ou