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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/175

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LA FEMME DU DOCTEUR

Isabel se détourna avec un geste de dégoût.

— Que m’importe un tapis neuf ? — dit-elle. — Mon désir était d’embellir la maison.

Oui, elle voulait des embellissements ; elle voulait introduire quelque grâce dans sa vie ; quelque chose qui, de loin au moins, ressemblât aux objets que ses livres lui décrivaient. Tout ce qui était beau lui causait un frisson de bonheur ; tout ce qui était laid la faisait souffrir, et elle ignorait encore que la vie n’a jamais été destinée à être une succession de joies et que l’âme doit monter vers la lumière supérieure à travers une région de souffrance, d’obscurité et de confusion, de même que les plantes n’arrivent à leur floraison qu’après être montées vers le soleil, en traversant de sombres couches de terre. Elle voulait être heureuse et se réjouir à sa façon. Elle n’avait pas la patience d’attendre que le bonheur qui lui était dévolu ici-bas vînt la trouver, et elle prenait la faculté d’apprécier les belles choses et d’en jouir pour une sorte de droit divin au bonheur et à la richesse.

Dire que George ne comprenait pas sa femme, c’est dire bien peu de chose. Personne, Sigismund excepté, n’avait encore compris Isabel. Elle ne s’exprimait pas mieux que les autres jeunes filles de son âge ; parfois elle s’exprimait plus mal, car elle voulait dire tant de choses que la confusion se mettait dans cet enchevêtrement de pensées folles et d’enthousiasmes romanesques qui remplissaient son esprit. Dans sa famille, les gens de l’entourage de Mlle Sleaford avaient été beaucoup trop absorbés par les réalités de la vie pour attacher quelque importance aux rêveries romanesques d’une jeune personne. Mme Sleaford pensait avoir dit tout ce qu’on pouvait dire d’Isabel, lorsqu’elle avait dé-