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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/239

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LA FEMME DU DOCTEUR

occupation ennuyeuse. Bon pour Ruth Pinch de s’y livrer une fois par hasard, d’être admirée par John Westlock et d’épouser un jeune homme riche en moins de rien. Il n’est pas douteux que Mlle Pinch savait instinctivement que M. Westlock viendrait ce jour-là pendant que le pudding serait en train de cuire. Mais faire à jamais des puddings pour Tom Pinch sans la consolation d’un John Westlock ! Isabel laissait les soucis du ménage à Mathilda, et jouait les héroïnes de Shakespeare et Édith Dombey devant son miroir, lisait ses romans, rêvait tout éveillée, écrivait des fragments de poésie, et traçait à la plume le profil de Lansdell — regardant toujours de droite à gauche. Elle lui faisait les yeux très-noirs avec de grands blancs au milieu et les cheveux hérissés ; elle esquissa aussi très-souvent le chapeau de Gwendoline, sinon aussi souvent que le profil de son cousin ; il n’y avait donc aucun mal à cela. Mme Gilbert était excessivement pointilleuse avec elle-même lorsqu’il s’agissait de ses pensées. Elle se bornait à imaginer ce qui aurait pu arriver si Lansdell l’avait rencontrée longtemps avant son mariage.

On pense bien qu’elle n’oubliait pas la fête champêtre à Mordred, proposée par Roland. Elle y pensait beaucoup, s’imaginant parfois que c’était trop beau pour se réaliser jamais ; d’autre fois s’attendant à voir Lansdell venir faire son invitation dans les formes. Le temps était très-chaud et les chemins poudreux ; Mme Gilbert restait donc la plupart du temps au logis. Il pouvait venir, — il pouvait venir d’un moment à l’autre. Elle tremblait au moindre coup de marteau et courait au miroir pour lustrer ses bandeaux ; mais les visiteurs de Gilbert étaient des gens vulgaires,