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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/6

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LA FEMME DU DOCTEUR.

ternel, et qui était allé croissant à mesure que grandissait l’enfant. L’esprit de M. Gilbert s’était rétréci dans le cercle où il était confiné. Il avait reçu en héritage de son père la clientèle de la maison et les indigents de la paroisse, car M. Gilbert le père avait été médecin avant lui, avait habité la même maison, décorée de la même lanterne rouge placée au-dessus de la vieille porte, et cela pendant quarante-huit ans, après quoi il était mort laissant la maison, la clientèle, et la lanterne rouge à son fils.

Si le fils unique de M. Gilbert avait possédé les capacités d’un Newton ou le génie d’un Napoléon, le médecin ne l’eût pas moins enfermé dans le laboratoire pour y préparer l’aloès et la conserve de roses, la teinture de rhubarbe ou l’essence de menthe poivrée. Heureusement pour l’enfant, il était tout simplement un bambin vulgaire, au visage franc et rose, aux yeux gris clair qui regardaient en face, à la chevelure noire et épaisse, séparée en deux sur le front et frisant naturellement. Il était grand, droit, fort ; il courait bien, excellait au cricket, était suffisamment habile dans le bel art de la boxe et le maniement du bâton, et tirait décemment le pistolet et la carabine. Son écriture était bonne, il calculait à ravir, et se rappelait des bribes de latin, une ligne, un vers, un hémistiche égaré de ces poètes et de ces philosophes romains dont les écrits avaient été son supplice pendant son séjour dans un certain Pensionnat classique et commercial de Wareham. Il parlait et écrivait l’anglais assez correctement. Il avait lu Shakespeare et Walter Scott, et préférait infiniment celui-ci, bien qu’il se fît une loi de passer les premiers chapitres des œuvres du grand romancier, afin d’entrer sans tarder au cœur