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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/8

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LA FEMME DU DOCTEUR.

fille. M. Gilbert avait confié son fils, pendant ces deux années agitées, aux soins d’une tranquille famille de Wesleyens, habitant Seven Sisters Road, et le jeune homme n’avait eu que peu de loisirs pour s’amuser en compagnie des esprits forts de Saint Bartholomé. George Gilbert avait vingt-deux ans, et pendant ces vingt-deux années son père n’avait pas eu une seule fois l’occasion de lui adresser le plus petit mot de reproche. Le jeune médecin était regardé comme le modèle des jeunes gens de Graybridge, et on disait tout bas que s’il s’avisait jamais de lever les yeux jusqu’à Mlle Sophronia Burdock, la seconde tille du riche brasseur, il ne serait pas éconduit. Mais George n’était pas fat, et de plus il ne ressentait pas une admiration très-vive pour Mlle Burdock, dont les cils étaient notablement plus pâles que ses cheveux, et dont les sourcils n’étaient visibles que dans une lumière très-vive. Le médecin était jeune, et l’avenir s’ouvrait devant lui ; mais il n’était pas ambitieux ; il ne se sentait pas à l’étroit dans l’antique Rue-Haute de Graybridge. Il restait volontiers dans le petit salon attenant au laboratoire, lisant les poèmes les plus échevelés de Byron, sympathisant à sa façon avec les Giaours et les Corsaires ; mais sans ressentir dans le cœur d’aspirations passionnées, sans concevoir la moindre idée de révolte contre la tranquille monotonie de son existence. Il y a prisonniers et prisonniers. Les uns ont des fleurs sur la fenêtre de leur cellule, se mettent à leur aise, s’ingénient de mille manières à rendre agréable leur étroit réduit, mangent, boivent, et dorment dans une indifférence parfaite pour le monde qui commence au delà du mur cruel qui les enferme. D’autres, cramponnés sans cesse