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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/9

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LA FEMME DU DOCTEUR

aux barreaux de leur fenêtre, contemplent sans relâche un lambeau lointain du ciel bleu, — de ce ciel merveilleux qui recouvre le monde de la liberté, — et se consument lentement au feu de leurs propres âmes.

George prenait la vie comme il la trouvait, et ne désirait nullement l’améliorer. Pour lui Graybride-sur-la-Wayverne était le monde entier. Il avait été à Londres et avait ressenti cette impression de délicieuse surprise, familière aux provinciaux, au milieu des rues pleines de gens affairés, de bruit, et de mouvement ; mais il n’avait pas tardé à découvrir que la grande métropole était une ville malpropre et mal famée, comparée à Graybridge-sur-la-Wayverne, où l’on pourrait, sans danger pour la propreté, prendre son repas sur le seuil des portes. Le jeune homme était plus que satisfait de son existence : elle lui plaisait. Il était heureux de penser qu’il allait être l’associé de son père, qu’il vivrait, qu’il se marierait, qu’il aurait des enfants, et qu’il mourrait enfin sous le toit familier où il était né. Il s’attachait facilement et pour longtemps ; il aimait les choses connues depuis longues années, à cause de leur vieillesse et de l’habitude qu’il en avait ; la question de mérite ou de beauté ne venait qu’en second lieu.

Le 20 juillet 1852 fut un jour mémorable pour George Gilbert, et aussi pour la ville entière de Graybridge ; car ce jour-là un train de plaisir quittait Wareham pour Londres, emmenant les esprits aventureux, curieux de passer une semaine dans la grande métropole, à des prix très-modérés. George avait une semaine de congé qu’il devait passer avec un ancien camarade d’école, devenu auteur, qui habitait le