Aller au contenu

Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/110

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
106
LA FEMME DU DOCTEUR.

dû être un demi-dieu par la puissance de sa pénétration aussi bien que dans tous ses attributs, — lui aussi l’avait offensée et outragée et lui avait rendu impossible de regarder avec confiance la sombre beauté de son visage. Jamais plus sa main ne pouvait se poser, si légèrement que ce fût, sur son bras ; jamais plus elle ne devait lui confier, en d’enfantines confidences, tous les vagues désirs, toutes les aspirations innocemment sentimentales de son âme d’enfant.

Jamais, jamais plus. Le brillant idéal de sa vie s’était évanoui devant elle comme un nuage vaporeux et argenté planant au-dessus d’une cascade alpestre et n’avait laissé derrière qu’un homme du monde désenchanté et sceptique, qui lui demandait hardiment de quitter son mari et qui se fâchait contre elle, parce qu’elle refusait de satisfaire à son cruel désir.

La femme du médecin n’admit pas un seul instant la possibilité de commettre l’action que Roland lui avait proposée. Bien loin, — aussi loin d’elle que quelque peinture indécise et à demi oubliée d’un pays féerique, — flottait une vision de ce que sa vie aurait pu être avec lui, si elle avait été Clotilde, ou la brillante duchesse, ou Gwendoline, ou quelque autre femme absolument différente d’elle-même. Mais la possibilité de quitter délibérément son mari pour suivre les pas de cet homme était aussi loin de sa puissance de compréhension que l’idée de dérober une poignée d’arsenic dans le laboratoire pour le mêler avec le sucre qui servait à George à adoucir son café du matin.

Elle s’éloigna du Roc de Thurston sans reprendre le chemin à travers les prairies qui l’aurait conduite chez elle. Elle alla n’importe où, à demi inconsciente,