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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/122

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LA FEMME DU DOCTEUR.

Il était toujours sincère ; d’une sincérité douce, mélancolique, terrible parfois. Sa vie, en dehors de l’église, était aussi en harmonie parfaite avec les préceptes qu’il exposait du haut de la chaire. Il y a des hommes qui savent croire, qui peuvent contempler une récompense si grande et si magnifique, que la peine et l’ennui de la lutte se réduisent à rien, comparés à l’espérance de la victoire. M. Colborne était un de ces hommes. La robe qu’il portait n’avait pas été jetée à l’aventure sur ses épaules parce qu’il n’avait pas eu d’autre but à sa portée. Il avait choisi son rôle sacré avec tout l’enthousiasme d’un Loyola ou d’un Irving, et le regret lui était inconnu. Voilà quel était l’homme que l’on venait écouter dans la petite église voisine de la Wayverne. Voilà quel était l’homme dont la voix grave frappait, ce soir-là, avec une puissance singulière les oreilles d’Isabel. Ah ! comme elle comprenait maintenant Louise de la Vallière agenouillée à l’ombre d’un pilier gothique, attentive à la parole du prêtre qui l’adjurait de se repentir et de faire son salut. Pendant quelques minutes, elle distingua seulement la voix du prédicateur : les mots eux-mêmes frappaient inutilement son oreille. D’abord, ce ne fut qu’une voix magnifique, une voix noble et solennelle s’élevant et s’abaissant dans son cours comme le murmure lointain des vagues puissantes assaillant la terre sans relâche. Puis, petit à petit, le murmure prit une forme palpable ; Isabel reconnut que le prédicateur racontait une histoire. Il disait cette histoire, cette idylle exquise, cette tragédie solennelle, ce poème d’une beauté si parfaite, qu’un Français sentimental n’a eu qu’à l’entourer de quelques fleurs de rhétorique pour en faire tout à coup la lecture du monde entier,