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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/141

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LA FEMME DU DOCTEUR

faitement à une fille de la maison de Ruysdale. Elle regarda donc son cousin avec quelque chose qui ressemblait à du mépris, et qui se lisait dans la courbe mince et relevée de sa lèvre supérieure. Elle aimait cet homme, peut-être autant que l’aimait la femme du médecin, peut-être aussi d’un amour plus profond et plus durable ; mais elle était de son monde, et elle pouvait voir ses fautes ou ses maladresses aussi clairement qu’il les voyait lui-même.

— Je suis très-fâchée de voir que vous êtes tombé si bas, — dit-elle gravement. — Je me figure que les choses iraient mieux si vous occupiez votre existence moitié aussi bien que les autres hommes, qui sont vos inférieurs par le talent, emploient la leur. Vous n’êtes pas fait pour jouer le rôle d’un oisif sceptique dans un château perdu de la province. Si j’étais homme, j’aurais épuisé en quinze jours de chasse tous les plaisirs du Midland, puis je repartirais, et je tiendrais ma place parmi les gens de ma classe.

Elle ne regardait pas Roland, mais les plates-bandes du jardin tout en parlant, avec un regard énergique dans ses yeux bleus. Sa beauté, un peu trop dure de lignes pour une femme, aurait convenu à un jeune réformateur défendant avec enthousiasme et persévérance une noble cause. On rencontre parfois de ces erreurs de la nature, de ces mésalliances entre l’argile et l’esprit. Une jeune créature brillante et ambitieuse, ayant l’âme d’un homme d’État, reste à la maison et fait des bouquets de fleurs en laine de Berlin, tandis que son indolent frère est jeté dans la lice pour combattre le grand combat.

Les cousins restèrent assis quelque temps côte à côte, causant de toutes sortes de choses. C’était une