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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/144

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LA FEMME DU DOCTEUR.

deux mois s’étalent écoulés depuis que lui et la femme du médecin s’étaient séparés par cette triste après-midi du mois de mars, jour de crise dans la vie d’Isabel. La chaude brise du commencement de l’été éventait le visage du jeune homme comme il cheminait à travers l’herbe drue, sous les branches étendues des tilleuls et des hêtres. Il avait déjeuné de bonne heure et il était parti immédiatement après ce simulacre de repas. Il avait quitté Mordred dans un état fébrile, et lorsqu’il eut parcouru un ou deux milles, il sembla pâle et épuisé sous la lumière éclatante de cette radieuse matinée de mai.

Ce jour-là, on aurait dit que son cynique bavardage sur lui-même n’était pas absolument la niaiserie romanesque que le sincère et pratique Raymond y voyait. Il avait l’air fatigué, épuisé, mentalement et physiquement, comme un homme qui a réellement fini sa carrière. En le regardant, ce matin-là, si jeune, si beau, si intelligent et si heureux qu’il fût, bien peu se seraient avisés de lui prédire une existence brillante et heureuse, une carrière longue et utile. Il avait l’air épuisé, flétri, étrange sous cette lumière d’été, comme une lampe qui a brûlé toute la nuit. Un jour, dans le jardin de Mordred, il n’avait fait que dire la vérité. Les Lansdell n’avaient jamais atteint un âge avancé, et une expression particulière qui se lisait sur tous les portraits du Prieuré pouvait se lire sur le visage de Roland ce jour-là. Il était fatigué, très-fatigué. Il avait vécu trop vite et avait gaspillé son héritage d’énergie et d’enthousiasme juvénile, comme le véritable prodigue qui dissipe une fortune en quelques nuits passées dans les maisons de jeu. Tant que les nuits durent, elles sont éclatantes et retentissent du tumulte inouï