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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/16

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LA FEMME DU DOCTEUR.

du roman féodal dont le théâtre devait être les ruines de Waverly. La journée était magnifique, un véritable temps d’été, avec un soleil resplendissant et un ciel bleu sans nuages. Le soleil était comme un bon présage dans la pensée de Mme Gilbert, pendant qu’elle revêtait cette robe de mousseline blanche qu’elle devait porter à Mordred. Un présage de quoi ? Elle ne se posa pas cette question, mais elle se complaisait à penser que le ciel souriait à sa visite à Mordred. Elle pensait au dîner au château, assise à côté de son mari à l’église, les yeux modestement fixés sur le livre de prières posé sur ses genoux. Elle avait pris l’habitude de penser à lui au lieu de faire attention au sermon.

Ce jour-là, elle n’essaya même pas d’écouter le discours du recteur. Elle se voyait dans le salon à peine éclairé de Mordred, après le dîner, l’écoutant parler. Elle voyait son visage tourné vers elle dans le demi-jour — ce visage pâle et brun — ces yeux rêveurs et changeants. Lorsque, à la fin du sermon, l’assistance se leva tout à coup, elle resta assise toute effarée pendant un instant, comme quelqu’un qu’on éveille brusquement d’un rêve ; et quand les fidèles s’agenouillèrent et s’absorbèrent dans une méditation silencieuse sur l’injonction de leur pasteur, Mme Gilbert resta si longtemps dans une pieuse attitude que son mari fut obligé de la rappeler à elle en lui touchant doucement l’épaule. Même à genoux, c’était à lui qu’elle pensait. Elle ne pouvait chasser son image de ses pensées ; elle marchait dans un rêve perpétuel et s’éveillait bien rarement à l’idée qu’elle faisait mal de s’abandonner à ces rêveries. D’ailleurs, lorsqu’elle y songeait, elle y trouvait facilement une excuse qui