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LA FEMME DU DOCTEUR

des pauvres demeurait encore prisonnier dans la chambre qui avait vu mourir son père et sa mère. Il semblait qu’un long temps s’était écoulé depuis l’époque où il était bien portant et vigoureux, occupé à ses travaux du matin au soir, préparant les médicaments au laboratoire, et venant dans le parloir à des heures fixées pour prendre de bon appétit des repas substantiels et presque grossiers. Maintenant qu’il était si faible qu’on trouvait sujet de se réjouir lorsqu’il prenait une ou deux cuillerées de bouillon, la conscience d’Isabel la torturait cruellement en se rappelant qu’elle avait méprisé son mari à cause de son appétit ; avec quel dédain suprême elle l’avait regardé dévorant d’épaisses tranches de viandes saignantes, et épongeant jusqu’à la dernière goutte de sauce grasse à l’aide de grands morceaux de pain. Il n’était malade que depuis une semaine, et cependant il semblait que ce fût l’état normal pour lui d’être couché dans cette chambre obscure, sans forces et souffrant, pendant les longues et chaudes journées d’été. L’état de la santé du médecin faisait le sujet de la conversation de Graybridge ; les badauds en parlaient comme de la pluie et du beau temps, ou des progrès des blés verts dans les champs voisins. Une foule de malades nécessiteux venaient chaque jour à la porte s’enquérir de la santé du médecin, et ils s’éloignaient tristes et chagrins lorsqu’on leur disait qu’il allait de plus en plus mal. Mme Gilbert, en descendant pour répondre aux questions de ces gens, découvrit pour la première fois combien son mari était aimé, lui qui ne possédait aucun des attributs d’un héros. Elle se demandait parfois s’il n’était pas préférable de porter de grosses chaussures et de sortir pour faire le bien, que d’être