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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/185

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LA FEMME DU DOCTEUR

land ; mais le lendemain le trouvait encore au château, attendant sans espoir, sans but, — attendant, il ne savait quoi, — attendant peut-être faute de l’énergie physique nécessaire pour le court effort d’un départ. Il voulait aller par terre à Constantinople, de la sorte la fatigue serait plus grande. Une traversée du mont Cenis ne le guérirait-elle pas de son amour insensé pour Isabel ? D’Alembert ne trouva-t-il pas un refuge contre le monde et ses ennuis dans les tranquilles plaisirs de la géométrie ? Goethe ne cherchait-il pas du soulagement à un grand chagrin dans l’étude d’une langue nouvelle ? Roland fit un faible effort pour apprendre l’alphabet arabe, pendant les jours et les nuits de désœuvrement passés à Mordred. Il étudierait les langues sémitiques, sans exception. Il se plongerait dans le livre de Job. Beaucoup de gens avaient trouvé dans le livre de Job un sujet de grand labeur. Mais les petits caractères arrondis de l’alphabet arabe glissaient de l’esprit de Lansdell comme autant de jeunes serpents, et il ne réussit à apprendre les langues sémitiques que juste assez pour écrire en arabe le nom d’Isabel sur les feuillets d’un buvard. Il était amoureux. Jamais écolier, séduit par une jolie compagne aux yeux bleus, aux rubans bleus, à la robe blanche entrevue à l’école de danse, ne fut plus follement amoureux que le jeune châtelain de Mordred, qui avait rempli tout un volume de diverses versions poétiques de son mépris pour l’espèce humaine en général et pour les femmes en particulier. Il avait sonné ce joyeux hallali avant d’être sorti du bois ; et maintenant il trouvait à son dam qu’il s’était trop pressé, car la forêt touffue l’emprisonnait de toutes parts, et il ne semblait pas exister d’issue au sombre labyrinthe.