Aller au contenu

Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/188

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
184
LA FEMME DU DOCTEUR.

mais non pas vile ; faible, mais non pas hypocrite ; romanesque et coupable peut-être d’un peu de vanité féminine, mais non pas cruelle de parti pris. Parfois, au milieu de la lutte de ces sentiments contraires, dans laquelle la colère, l’égoïsme, la fierté blessée, la vanité mortifiée produisaient un véritable tourbillon de passions douloureuses, parfois sous l’empire de désirs moins dignes encore, — l’amour vrai, l’amour sublime et clairvoyant, se dressait, pour un instant, victorieux, et Roland n’avait plus que des pensées de tendresse pour la femme qui avait brisé son avenir.

— Pauvre enfant, pauvre fille naïve et chérie ! — pensait-il à ces moments acquis aux bons instincts ; — si, au moins, je me montrais généreux, en m’éloignant, en vous pardonnant, et en vous laissant devenir en paix une femme vertueuse, vivant avec votre brave homme de mari, qu’il est de votre devoir de respecter et d’écouter. Mon Dieu ! j’ai pourtant entendu raconter, j’ai pourtant lu la biographie d’hommes dont l’existence n’a été qu’un long sacrifice, qui ont toujours ignoré ce que c’est que la possession de l’objet aimé ; éternels Abrahams offrant sans cesse de nouveaux Isaacs sur l’autel d’une divinité insatiable, et qui ont néanmoins trouvé une sorte de bonheur, une joie sublime et céleste dans les angoisses de leur martyre ! Il existe certainement de par le monde des trappistes au milieu des gorges sombres de Valombreuse ; hommes qui gardent un éternel silence sur le seul objet qui soit digne de leur faire retrouver la parole ; galériens qui marchent, le sourire aux lèvres, chargés d’invisibles chaînes et attachés éternellement à un compagnon qu’ils ont en horreur ; hommes qui ne savent jamais ce que c’est de dire leur pensée ou d’agir à leur guise ;