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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome II.djvu/187

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LA FEMME DU DOCTEUR

assise dans le parloir. Il s’était, en un mot, interdit Graybridge et la route qui y conduisait.

— Je ne lui donnerai pas le plaisir de dire que je l’obsède, — pensait-il ; — son cœur vain et lâche ne se réjouira pas au spectacle de ma misérable faiblesse. J’ai mis une seule fois mon cœur à nu devant elle, et elle est restée à sa place jouant la dévotion et m’a laissé partir avec mon désespoir. Elle aurait pu chercher à me voir ce soir-là, au moins pendant quelques minutes. Elle aurait pu me parler, me dire quelques paroles banales mais sympathiques ; mais elle a préféré faire montre de piété. Je gage qu’elle sait aussi bien que moi que l’air recueilli s’harmonise avec sa beauté ; et elle est rentrée chez elle heureuse, sans doute, à la pensée qu’elle faisait le malheur d’un homme. Et c’est l’espèce de femmes que le monde appelle vertueuses, — créatures dont la vanité est assez grande pour tenir la place de toutes les autres passions. Pour une femme vraiment vertueuse, pour une femme loyale qui aime son mari, et devant laquelle le libertin le plus déclaré s’incline intimidé et respectueux, — pour cette femme-là je n’ai que du respect et de l’admiration ; mais je hais et je méprise ces coquettes sentimentales, qui font l’éloge de l’amour platonique au second degré, en s’inspirant des pages d’un poète, qui, à ses meilleurs instants, est dix fois plus immoral que l’auteur de Don Juan à ses plus mauvais moments.

Mais Roland n’était pas toujours aussi cruel envers la femme qu’il aimait. Parfois au milieu de sa rage et de sa colère, un soudain courant de tendresse passait à travers les ondes noires de son âme, et pour un instant l’image d’Isabel lui apparaissait sous ses couleurs véritables. Il la voyait comme elle était réellement, folle,